Du goût et des cultures

Le sens du goût est-il une question de culture?

La réponse qui nous vient tout de suite à l’esprit est oui bien sûr, on ne mange pas la même chose si l’on vit en Asie ou en Europe. Pour autant, nos papilles gustatives et nos récepteurs olfactifs sont les mêmes, c’est donc l’apprentissage et l’expérimentation qui nous font consommer un aliment plutôt qu’un autre, le préparer d’une façon différente que celle utilisée par un pays voisin.

Quels sont donc tous les facteurs qui interviennent dans cette différenciations des goûts par rapport à notre culture?

L’évolution du goût au cours de la vie

Le goût est un sens qui se construit, qui s’apprend.
Une période clé dans l’apprentissage alimentaire se situe vers les 6 mois de l’enfant, c’est à ce moment que l’on commence à diversifier les repas. Parce que s’il est reconnu que l’alimentation de la femme enceinte, celle de la mère allaitante influe sur les saveurs acceptées par l’enfant, son propre apprentissage est bien plus important encore.

L’équipe de Sophie Nicklaus du Centre des sciences du goût et de l’alimentation à Dijon a montré que l’exposition répétée d’un enfant aux légumes est essentielle dans le phénomène d’apprentissage du goût. Ainsi, si un enfant refuse un aliment, il faut le lui présenter au moins huit fois, pour qu’il finisse généralement par l’apprécier!
Source: Le goût une affaire de nez Loïc Briand, 2020, Le goût une affaire de de nez, éditions quae, pages41-42.

Il faut donc s’armer de patience pour diversifier et augmenter la liste des aliments à présenter à votre enfant.
Par contre cette étape est fondamentale pour la construction de sa future alimentation, c’est là que se forme sa « base de données » alimentaire.

Si de nombreuses préférences alimentaires s’établissent durant l’enfance et au cours de divers apprentissages, l’évolution du goût s’échelonne sur toute la vie et des aliments qui ne nous plaisaient pas peuvent être acceptés voire adorés par la suite.
C’est souvent le cas pour des aliments forts en goûts comme certains fromages, le gibier, les vins tanniques…

Les facteurs qui influent sur le goût

Nous sommes bien conscients que tous les peuples n’ont pas la même alimentation et il est facile de le mettre en évidence en fonction de la localisation géographique. Sachant que tous les humains ont des besoins nutritionnels qui sont fonction de leur âge,de leur état physiologique et des efforts qu’ils doivent fournir.

Par exemple, les inuits dans le Grand Nord ont une alimentation essentiellement carnée, très riche en graisses.
A l’inverse, en Inde les protéines animales sont très peu représentées en dehors de celles apportées par le lait, l’alimentation étant basée sur les légumineuses, les fruits et légumes.

Si ces deux régimes se trouvent un peu aux antipodes, la majorité des régimes alimentaires de part le monde sont mixtes avec un apport de protéines animales, de féculents,  de légumineuses, de fruits et légumes,

Si certains aliments sont recherchés dans une culture, leur goût peut provoquer une aversion  pour d’autres.

La France est bien un pays qui peut choquer avec ses pratiques alimentaires telle que:

• les huîtres, mollusques encore vivants à l’aspect pas très engageant
• les fromages à l’odeur très puissante et repoussante
• les cuisses de grenouille ou les escargots

Pour nous, ce sont plutôt les insectes que nous avons du mal à imaginer dans nos assiettes alors qu’ils sont très appréciés au Mexique, en Afrique centrale ou en Asie du Sud est.
Dans les régions équatoriales, les œufs de reptiles sont très appréciés, alors qu’à la Réunion le Cari de larves de guêpes est un plat de fête.

Je vous le disais, il y en a pour tous les goûts!!

La diversité des goûts provient :

• de la pluralité des aliments
• des pratiques de transformation et de cuisson
• des nombreuses possibilité d’assemblage

Sachant que la cuisson reste un acte fondateur puisque c’est grâce à la cuisson que l’on rend un aliment digeste. Même si nous consommons quelques produits crus, la majorité de nos aliments nécessitent une cuisson pour être assimilés.

Suivant le type de cuisson:

• à l’eau ou à la vapeur, par exemple, au Japon, l’eau est très importante,il n’y a pas ou peu de matières grasses ou de produits laitiers pour véhiculer les saveurs, le goût est discret pour certains, fade pour d’autres!
• dans de l’huile, de la graisse, qui permet une température de cuisson supérieure à celle obtenue dans l’eau
• à “sec” dans l’air, sur des braises

les goûts développés seront bien distincts et les textures très variables, le croquant, le croustillant, le mou, le gluant, l’élastique, le fibreux…..

La religion et l’alimentation

On ne peut pas directement associer le goût à la religion, mais  la religion impose des règles dans l’alimentation qui induit une culture du goût .

• les interdictions alimentaires (le porc pour les juifs et les musulmans)
• les prescriptions alimentaires permanentes ou temporaires (carême pour les chrétiens, ramadan pour les musulmans)
• les périodes de jeûne (très importantes dans la religion orthodoxe)

Parallèlement se trouvent les offrandes et les sacrifices, les aliments sont préparés suivant des rituels, ils acquièrent une haute valeur symbolique.

L’ensemble de ces pratiques contribue à orienter nos choix et donc nos goûts en matière d’alimentation.

Donc suivant l’endroit où l’on va naître, la religion à laquelle on appartient, les propositions alimentaires seront différentes.

Pour aller plus loin, ici une conférence sur « Qui mange quoi? » proposée par l’ethnoécologue Serge Bahuchet du Musée de l’homme.

Cartographie du goût

Source:https://sites.google.com/site/histoiregeographielp/1ere-bac-professionnel/mondialisation-et-diversite-culturelle/iii-la-geographie-des-gouts-alimentaires

Il est bien entendu très difficile de cartographier le goût en fonction des différents pays, des différentes cultures, cette carte cependant met en évidence les deux saveurs les plus appréciées parmi les cinq saveurs de base, selon les grandes aires géographiques.

Dans le tableau associé sont intégrées trois sensations qui interfèrent également avec la perception des goûts, ce sont l’astringent, sensation que l’on identifie facilement dans les vins tanniques, sensation de sécheresse en bouche.
Le doux qui pour moi va de paire avec la saveur umami, côté doucereux, pas très typé et le piquant qui lui apporte une sensation de chaleur plus ou moins intense en bouche.

Le Poulet : recettes du monde

L’idée est de prendre un aliment simple, que l’on retrouve  dans toutes les grandes civilisations  et de regarder à travers des recettes  emblématiques de plusieurs régions du monde, la façon dont il est cuisiné, accommodé.

Amérique du Nord: les Nuggets de poulet

Ingrédients pour 4 personnes:

Préparation:

• Couper les escalopes de poulet pour obtenir des morceaux de poulet qui fassent tous la même taille (c’est plus facile pour la cuisson!), la taille d’un nugget!!!
• Dans un petit saladier, battre l’œuf avec le lait, le sel et le poivre.
• Dans une assiette creuse mettre la farine et le mélange d’épice, bien mélanger.
• Rouler chacun des morceaux dans la farine “épicée”, puis tremper les un à un dans le mélange œuf –lait, bien les enrober afin de les rouler à nouveau dans la farine.
• Préparer un faitout avec de l’huile végétale pour le bain de friture. Chauffer à 180°C.
• Quand l’huile est chaude, vous pouvez vérifier en trempant juste un morceau avant de vous lancer.
• Faire frire les morceaux de poulet par 4 ou 5 en fonction de la taille de votre faitout, il ne faut pas qu’ils se collent entre eux. Retourner les morceaux pour qu’ils prennent une belle couleur des deux côtés, poursuivez la cuisson pour obtenir une belle couleur dorée.
• En sortie de friture, vous pouvez déposer les nuggets sur du papier absorbant afin d’enlever l’excédent d’huile.
• Servez  avec du ketchup et des frites!

Chine : Poulet Kung Pao ou poulet impérial

Ce plat est originaire de la région du Sichuan, province du sud-ouest de la Chine, il s’agit d’un plat épicé qui doit se préparer avec le poivre typique du Sichuan et des petits piments.

Ingrédients pour 4 personnes:

Préparation:

• Dans un bol, on prépare la marinade avec la farine et le sucre, on ajoute la sauce soja et le vinaigre de riz.
• Dans un plat, mettez les escalopes de poulet découpées en morceaux de 2à 4 cm, verser la marinade dessus, bien envelopper chaque morceau de viande, pour qu’elle s’imprègne bien de la marinade.
• Laissez reposer minimum 30 minutes au frais, un repos de 2 à 3 heures renforcent encore plus les goûts.
• Dans une sauteuse, ou encore mieux un wok, faites revenir dans un peu d’huile végétale ,l’ail, l’oignon émincé, le gingembre, les lamelles de poivron, le piment découpé et le poivre de Sichuan.
• Quand l’ensemble est bien revenu,  baissez un peu le feu et ajouter les morceaux de poulet, remuer régulièrement.
• Pendant la cuisson du poulet, torréfier les noix de cajou ou cacahuète, dans une poêle à sec, bien remuer et stopper la cuisson lorsqu’elles possèdent une belle couleur ambrée.
• Lorsque le poulet est cuit ajouter les noix ou cacahuètes torréfiées, mélangez doucement et servez avec du riz.

Afrique de l’ouest: Poulet Yassa

Un des plats incontournable de l’Afrique de l’ouest.

Ingrédients pour 4 personnes:

Préparation:

• On commence par préparer la marinade, dans un bol, on mélange le jus des citrons, 4 oignons émincés, 2 gousses d’ail écrasées, 1 cuillère à soupe de moutarde sel et poivre.
• Mettre les cuisses de poulet dans un plat et verser la marinade dessus, vérifier à bien enrober la viande. Mettre au frais pendant toute une nuit.
• Faire revenir les morceaux de poulet à la poêle, au four ou sur la braise.
• Une fois le poulet  cuit, il doit être bien fondant, réservez.
• Dans une sauteuse mettre le reste d’huile, faire revenir la moutarde restante avec l’ail et l’oignon émincé, verser le reste de marinade, mélangez et ajoutez les morceaux de poulet.
• Servez avec du riz ou du manioc.

Europe: Poulet à l’italienne

Ingrédients pour 4 personnes:

Préparation:

• Commencer par détailler les tomates en petits dés (1.5/2 cm de côté), les saler légèrement et les laisser dégorger, elles vont perdre leur “eau” et seront donc plus rapides à cuire.
• Epluchez et émincez l’ail et les échalotes. Découpez le lard en dés.
• Dans une sauteuse, faire revenir avec un peu d’huile, l’ail, les échalotes et le lard.
• Ajoutez le verre de vin blanc, les carottes en dés, puis les tomates, le sucre, le bouquet garni, le sel et le poivre.
• Laissez mijotez 15 minutes.
• Pendant ce temps, faire revenir les cuisses de poulet dans un peu d’huile, bien les faire dorer sur toutes les faces.
• Ajoutez les morceaux de poulet dans la sauteuse contenant la préparation à base de tomates, ajoutez les olives, laissez cuire à feu doux 10 minutes encore avant de servir.
• Servez avec un plat de pâtes, le parmesan râpé et quelques feuilles de basilic.

Ces quelques recettes illustre très brièvement les goûts qui diffèrent à partir d’un aliment central commun, le poulet.
On remarquera quand même que dans chacune des recettes, l’accompagnement  est riche d’herbes aromatiques, d’épices, que ce soit dans la marinade comme dans l’assaisonnement, le poulet n’est effectivement pas une viande très typée en goût comme peut l’être de l’agneau ou du bœuf, on retrouve donc dans chaque recette un assaisonnement qui va relever le goût . L’ail et l’oignon sont bien représentés en Afrique, aux Etats Unis et en Europe, en Asie la sauce soja est incontournable. Pour le poulet à l’italienne, la tomate et le parmesan prennent place alors que le citron se glisse dans le poulet Yassa.

La mondialisation des goûts

Comme nous venons de le dire, si l’on a énuméré les possibilités de singulariser le goût en fonction de la culture, il n’en demeure pas moins que l’adaptation d’une recette  à un pays autre que son pays d’origine tend à uniformiser l’offre alimentaire. S’il s’agit de recettes traditionnelles, les dérives sont très rapides et fréquentes pour pouvoir les adapter au plus grand nombre  d’une part et à des habitudes culinaires propres à chaque pays d’autre part.

Il est intéressant de remarquer qu’à l’intérieur même d’un pays la régionalisation des plats, la notion de terroirs est également très forte et de plus en plus revendiquée et de manière totalement paradoxale, aujourd’hui, on retrouve des hamburgers, du ketchup, des pizzas ou des kebabs dans tous les pays du monde.

Mais car il y a un mais, tous les coca cola du monde n’ont pas le même goût, chaque boisson est adaptée à la demande locale, une saveur un peu plus sucrée, la note de cannelle plus prononcée… Les grands groupes alimentaires ont bien identifiés les mécanismes afin de pouvoir répondre à cette envie de dépaysement par l’alimentation, liée au paradoxe de l’inconnu qui fait peur, ils adaptent donc leurs recettes pour coller aux mieux aux attentes de leurs clients.

S’il est un roi dans cet univers Mac Donald est tout désigné.
Au Philippines, le pain du burger est remplacé par des galettes de riz. En Inde introduction du Paneer (fromage traditionnel indien ) dans un wrap. Au japon une galette de crevettes remplace le steak . En France des nuggets au camembert….

Tout est donc possible, ….et pourquoi pas?

Ce qu’il est important de conserver, c’est une mémoire de chaque culture culinaire , retrouver des saveurs authentiques liées à un pays, une région, une époque. Connaitre, perpétuer des usages, des techniques, des associations alimentaires, car ils font partie de notre histoire au même titre que la musique ou l’architecture. Par contre rien ne vous empêche d’emprunter des idées aux cuisines du monde pour rehausser le goût de vos plats au quotidien, bien au contraire!!!

Alors dites moi, chez vous c’est cuisine du monde ou traditionnelle ?